Trois pistes pour rendre la climatisation plus écologique

Alors que les climatiseurs sont critiqués pour leur consommation d’énergie et leur empreinte carbone, Bill Gates a investi 20 millions de dollars cet été dans la start-up américaine Blue Frontier, qui développe une clim plus verte. Zoom sur sa techno et sur celles choisies par deux pépites tricolores.

De plus en plus achetés, mais de plus en plus critiqués. Alors que les années les plus chaudes se succèdent, les climatiseurs voient leurs ventes exploser. D’après l’Agence internationale de l’énergie (AIE), 2,1 milliards de climatiseurs sont installés dans le monde aujourd’hui ; un chiffre qui pourrait grimper à 5,6 milliards en 2050. Mais s’ils servent à mieux supporter le réchauffement climatique, ils participent aussi à l’entretenir.

Dans un rapport de 2018, l’agence rappelle que les climatiseurs représentent déjà 10% de la consommation totale d’électricité – et qu’ils contribuent fortement à l’effet de serre. L’électricité qui les alimente est largement issue des énergies fossiles (65% en 2016) et les fluides frigorigènes qu’ils utilisent ont un fort pouvoir de réchauffement. En prenant en compte ces fluides et l’alimentation en électricité, 1 135 millions de tonnes de CO2 étaient liées à la climatisation en 2016, affirme l’AIE, soit trois fois le niveau de 1990.

Blue Frontier et son déshydratant mystère

Il y a donc urgence à voir arriver sur le marché des produits plus écologiques. Cet été, le fonds d’investissement Breakthrough Energy Ventures, détenu par Bill Gates, a ainsi investi 20 millions de dollars dans la start-up américaine Blue Frontier. La particularité de son climatiseur : employer un nouveau système de refroidissement par évaporation. Pour retirer l’humidité de l’air, Blue Frontier utilise encore quelques réfrigérants conventionnels, mais en quantité nettement inférieure à celle de ses concurrents, et emploie également des déshydratants liquides, au niveau de pression de vapeur plus faible que l’eau. La start-up dit aussi recourir à un système de stockage moins énergivore.

«Blue Frontier utilise deux briques technologiques, analyse Rémi Pérony, co-fondateur et président de la start-up Caeli Energy, qui s’est lancée dans la fabrication de son propre climatiseur écologique. L’une, dessicante, qui assèche l’air, et l’autre, adiabatique, qui l’évapore, ce qui permet de faire du froid.» Selon lui, la pépite américaine est très avancée sur la première, utile sur de grands bâtiments énergivores dans le tertiaire. «Plusieurs laboratoires tentent de développer cette brique, mais elle requiert des fluides frigorigènes corrosifs et polluants. Blue Frontier semble avoir réussi à s’en passer, encore faut-il le démontrer en conditions réelles.»

La même circonspection est de mise chez le concurrent Leviathan Dynamics. «On ne sait pas bien à quel type de dessicant ils ont recours», admet Karino Kang, CEO et co-fondateur de l’entreprise. Quand l’air a été saturé en eau par le climatiseur, il ne peut plus se refroidir et pour continuer, «il faut le refroidir avec un produit chimique, un produit dessicant», explique-t-il. Le chlorure de calcium dispose d’un pouvoir de refroidissement assez faible, tandis que le chlorure de lithium, plus efficace, est plus coûteux et très néfaste pour l’environnement en cas de fuite. En outre, tout produit déshydratant, une fois utilisé une première fois, doit être chauffé pour se débarrasser de l’humidité accumulée ; une étape très énergivore.

Leviathan Dynamics mise sur l’eau

«Il y a une phosphorescence actuellement sur la climatisation écolo, constate Céline Laruelle, ingénieure au service bâtiment de l’Ademe et chargée des équipements climatiques. Beaucoup de solutions ne sont pas compétitives mais sont très performantes, avec beaucoup moins d’impact sur le climat que la climatisation classique.» Leviathan Dynamics travaille d’ailleurs avec l’Ademe sur de nouvelles pompes à chaleur et sur des machines à absorption récupérant la chaleur fatale des sites industriels, soit la chaleur émise par les machines, afin de produire du froid.

Pour ses climatiseurs, Leviathan Dynamics n’utilise aucun fluide frigorigène mais a recours à la méthode de compression mécanique de vapeur, c’est-à-dire l’évaporation forcée par un compresseur de liquide au bord de l’ébullition. L’entreprise se distingue en faisant de l’eau à la fois le fluide caloporteur, qui transporte la chaleur lors des échanges thermiques, et le fluide réfrigérant. Ce qui permet, outre de rafraîchir, de déshumidifier l’air. «L’eau n’a aucun impact sur la nature et permet d’économiser 30% de consommation électrique», assure Naoufel Menadi, CEO de Leviathan Dynamics.

Vers une réglementation européenne plus contraignante

Caeli Energy, de son côté, emploie «un mélange de low tech et de high tech, avec des systèmes très simples, peu de maintenance et peu de fluides frigorigènes», décrit son président. Un échangeur de chaleur à contre-courant produit du froid par évaporation de l’eau. «Nous sommes contactés par plein de fonds américains, se réjouit Rémi Pérony. L’annonce de Bill Gates sur Blue Frontier montre aux fonds d’investissement qu’on peut parier sur ce secteur.»

Contraintes ou convaincues, les entreprises vont devoir s’adapter : les hydrofluorocarbures (HFC), les gaz fluorés utilisés jusqu’ici dans les climatiseurs et qui avaient échappé au Protocole de Montréal en 1987 car jugés peu menaçants pour la couche d’ozone, doivent être progressivement interdits dans l’Union européenne d’ici à 2030. Seuls ceux dont le pouvoir de réchauffement global est inférieur à 150 seront toujours autorisés après cette date. Les HFC seront progressivement remplacés par des gaz hydrofluoroléfines (HFO), qui contribuent peu à l’effet de serre mais sont critiqués par les écologistes car très inflammables et herbicides. «L’été 2022 a été un été charnière pour beaucoup de gens, juge Rémi Pérony. La climatisation, qui était un objet de luxe autrefois, est en train de devenir un enjeu sanitaire.»

Source usinenouvelle.com

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